La norme INTOSAI-P 50

L'auteur, Gilles Miller. Source: Cour des comptes

Par Gilles Miller, conseiller maître et officier de liaison du Forum des ISC à compétence juridictionnelle à la Cour des comptes de France

Les principes fondamentaux de l’INTOSAI figurent au sommet des prises de positions professionnelles de l’INTOSAI, juste après les Déclarations de Lima et de Mexico, qui représentent la « grande charte » du contrôle externe des finances publiques et définissent les conditions de leur fonctionnement indépendant et efficace. À ce jour, il en existe trois : l’une est consacrée à la valeur et aux avantages que les ISC apportent aux citoyens (INTOSAI-P 12), une autre à la transparence et à la redevabilité (INTOSAI-P 20), la troisième énonce les 12 principes qui doivent guider l’action des ISC dotées d’attributions juridictionnelles, dans l’exercice de leurs fonctions.

Il s’agit de la norme INTOSAI-P 50, adoptée lors de l’INCOSAI XXIII (en septembre 2019) qui vise à aider les ISC membres de l’INTOSAI dotées d’attributions juridictionnelles à élaborer leur propre approche professionnelle, conformément à leur mandat ainsi qu’aux lois et règlements de leur pays. Il s’agit d’un document partagé, élaboré en concertation avec le Forum pour les prises de positions professionnelles (FIPP), validé par l’INTOSAI et destiné à servir de référence pour toutes les ISC déjà concernées ou qui seraient appelées à développer une activité juridictionnelle.

Une ISC est une ISC juridictionnelle lorsque son mandat et son organisation lui permettent d’effectuer non seulement tous les types de contrôles qu’une ISC doit effectuer, mais lorsque, en plus de ceux-là, elle est investie du pouvoir de statuer sur la responsabilité des personnes justiciables en cas d’irrégularités ou de mauvaise gestion. En ce sens, les activités juridictionnelles diffèrent des audits financiers, de performance ou de conformité, même si elles peuvent se dérouler conjointement avec ces audits ou leur faire suite. Dès lors, les procédures juridictionnelles doivent se conformer à des principes particulièrement exigeants, car elles ont un impact direct sur la situation personnelle des individus et la violation de ces principes menace directement la décision juridictionnelle elle-même.

Bien entendu, l’INTOSAI-P 50 fait partie intégrante du cadre de l’INTOSAI pour les prises de positions professionnelles (FIPP) et ses principes sont destinés à être utilisés conjointement avec toutes les autres prises de position professionnelles : l’INTOSAI-P 50 n’entre en contradiction avec aucune d’entre elles. En revanche, l’INTOSAI-P 50 contribue à combler un manque : elle constitue la pièce manquante d’un puzzle constitué par les nombreuses positions professionnelles (principes fondateurs et normes) où l’activité juridictionnelle des ISC est mentionnée sans jamais être définie. C’est ainsi que les Déclarations de Lima et de Mexico mentionnent explicitement, l’une, la nécessité d’obtenir réparation des pertes subies, ce qui est l’une des fonctions des ISC investies de compétences juridictionnelles, la seconde, la possibilité d’appliquer des sanctions. De même, les ISSAI 100 sur les principes fondamentaux du contrôle du secteur public, 130 sur la déontologie, 400 et 4000 sur les audits de conformité évoquent-ils les attributions de certaines ISC, reconnues comme des juridictions ou juridiquement investies de pouvoirs de sanction, dont ils renvoient la définition à des documents de principe qui n’existaient pas avant l’adoption de l’INTOSAI P-50 en 2019.

La présentation officielle des 12 principes, dans l’INTOSAI-P 50, n’obéit pas à une logique chronologique (c’est-à-dire décrivant les principes suivants qu’ils s’appliquent au début, au milieu ou à la fin d’une procédure juridictionnelle). Suivant une autre logique qui est propre à plusieurs normes de l’INTOSAI, ils sont énoncés dans un ordre qui va du plus contraint (par la loi, par des principes extérieurs à l’ISC) au plus libre (les principes qu’une ISC peut mettre en œuvre de façon totalement autonome). Les voici tels qu’ils se présentent dans l’INTOSAI-P 50.

  1. La loi doit définir le régime de responsabilité et de sanction applicable aux personnes justiciables devant l’ISC. Il s’agit du principe de légalité : c’est la loi qui définit un régime de responsabilité devant une juridiction (nature de la responsabilité ou typologie d’infractions, peines et modalités de sanction) ; l’ISC ne peut évidemment pas s’ériger seule en juridiction et elle ne peut sanctionner un manquement ou une faute si la loi n’a pas défini précisément les conditions de son intervention.
  2. Le ou les membres de l’ISC, impliqués dans les activités juridictionnelles, doivent bénéficier de garanties juridiquement définies, qui garantissent explicitement leur indépendance vis-à-vis des autorités publiques. Le principe d’indépendance vise les garanties d’indépendance de l’ISC en tant que juridiction ou de son organe juridictionnel, ainsi que de ses membres dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles.
  3. L’ISC doit avoir des pouvoirs ou des droits légaux garantissant son accès à l’information. Ce principe précise que pour les besoins de son activité juridictionnelle et des mesures d’instruction, l’ISC doit pouvoir disposer d’un droit de communication absolu aux documents qui permettent la manifestation de la vérité.
  4. Un fait irrégulier ne peut être poursuivi ou sanctionné qu’avant l’expiration d’un délai raisonnable à compter du moment où il a été commis ou découvert. Ce principe organise un « droit à l’oubli ». Les faits trop anciens doivent bénéficier de la prescription. C’est aussi une invitation à rapprocher la date des faits répréhensibles de celle de leur sanction par l’ISC juridictionnelle.
  5. Tout jugement de l’ISC doit pouvoir faire l’objet d’une objection et d’un réexamen et peut faire l’objet d’un appel ou d’une cassation conformément à la réglementation nationale. Le droit de recours devant une autre juridiction est un gage de sécurité, donc de qualité. On peut dire qu’il est consubstantiel à l’acte de juger.
  6. L’ISC doit veiller à ce que les personnes justiciables devant elle bénéficient d’un procès équitable garanti par les procédures légales. Le droit au procès équitable, garantissant le respect absolu des droits de la défense, est également consubstantiel à l’acte de juger.
  7. L’impartialité du processus de jugement doit être garantie par un règlement régissant les activités des ISC juridictionnelles et les procédures qui en découlent. Alors que le principe d’indépendance (2) visait l’ISC en tant que corps, ce principe d’impartialité vise chaque personne membre de la formation de jugement.
  8. L’exercice de la compétence juridictionnelle doit se traduire par des décisions de justice notifiées et exécutées. La sanction de la responsabilité personnelle du justiciable doit être effective. C’est le principe d’effectivité de la décision juridictionnelle. Une ISC qui ne rendrait pas de décision (res judicata) mais de simples propositions sans autorité de la chose jugée ne serait pas tout à fait une juridiction.
  9. Une personne justiciable ne peut être condamnée pour la même irrégularité à plusieurs sanctions de même nature imposées par l’ISC. Une personne responsable devant la loi ne peut être condamnée pour la même irrégularité à des sanctions de nature différente imposées par l’ISC et d’autres tribunaux que si la loi le permet. En vertu de ce principe, qui se traduit souvent par l’expression latine « Non bis in idem » ou « Ne bis in idem » les mêmes faits ne peuvent être sanctionnés deux fois, du moins dans le même cadre. De même, nul ne peut être condamné à devoir indemniser deux fois le même préjudice.
  10. L’ISC doit garantir la qualité des procédures juridictionnelles par un contrôle qualité efficace et systématique. La mise en place d’un contrôle qualité adapté est un devoir pour une ISC : pour les ISC juridictionnelles cette obligation doit en effet s’adapter aux particularités de la prise de décision, qui ne peut être contestée et remise en cause que selon des procédures particulières. Toutefois, les structures et les procédures peuvent faire l’objet de mesures de contrôle qualité contribuant ainsi à l’assurance qualité de la fonction juridictionnelle.
  11. L’ISC doit achever la procédure juridictionnelle dans un délai raisonnable. Les juges et tous les acteurs de la procédure sont invités à ne pas faire traîner sans raison la procédure juridictionnelle. Toutefois, les nécessités de l’enquête et l’exercice de droits de recours peuvent la ralentir, sans que l’exigence de délai raisonnable ne puisse être invoquée.
  12. L’ISC doit veiller à ce que les jugements, comme toute décision judiciaire, soient rendus publiquement, dans le respect du secret et des restrictions liées à la confidentialité qui sont légalement établis, ainsi que de la protection des données personnelles. L’ISC juridictionnelle doit veiller à ce que les règles de confidentialité, prévues par la loi, soient respectées. Mais elle doit, par ailleurs, contribuer à faire connaître sa jurisprudence, dans un but d’information du citoyen et du justiciable (principe de communication).

Conclusion

Désormais dotées de ces 12 principes, les ISC ayant des attributions juridictionnelles, réunies au sein du Forum des ISC juridictionnelles, ont engagé la rédaction d’un projet de guide (GUID) destiné à faciliter la mise en œuvre et l’application de ces principes, qui se rapportent à l’environnement très spécifique et à la nature de cette activité, en fournissant un recueil de lignes directrices tiré des meilleures pratiques, faisant largement consensus. À ce jour, ce projet de guide est actuellement soumis aux instances compétentes pour en permettre la publication.

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