Renforcer la collaboration entre les Institutions supérieures de contrôle des finances publiques et les organismes de lutte contre la corruption : leçons tirées de l’expérience tanzanienne

(À gauche) Charles Edward Kichere, contrôleur et vérificateur général de la République-Unie de Tanzanie, et (à droite) Frank Sina. Source : l'auteur, Frank Sina

Auteur : Frank Sina (PhD)

Les points de vue, opinions et interprétations exprimés dans le présent document sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les politiques ou positions officielles de la Cour des comptes de Tanzanie ni du Bureau de prévention et de lutte contre la corruption. Les conclusions et recommandations formulées dans le présent document sont celles de l’auteur et ne représentent pas les idées ou opinions de l’institution.

1. Introduction : À propos de la Tanzanie

La Tanzanie est l’un des pays d’Afrique de l’Est dotés de paysages époustouflants, d’une culture riche et d’attractions touristiques emblématiques. L’économie de la Tanzanie est classée comme étant à revenu intermédiaire inférieur, avec un produit intérieur brut (PIB) d’environ 75 milliards de dollars américains. L’économie est diversifiée, l’agriculture, l’exploitation minière et le tourisme étant les principaux contributeurs. Ces dernières années, la Tanzanie a réalisé des progrès significatifs dans le développement des infrastructures, la production d’énergie et les services sociaux, qui ont collectivement soutenu la croissance économique. Malgré ces progrès, le pays continue de faire face à des défis liés à la corruption et à la criminalité financière. Le gouvernement a intensifié ses efforts pour lutter contre ces problèmes, mais la corruption reste un obstacle important au développement et à la réduction de la pauvreté. Le classement du pays dans les indices internationaux de lutte contre la corruption reflète les défis actuels, Transparency International plaçant la Tanzanie au 94ème rang sur 180 pays dans son Indice de perception de la corruption (IPC) pour 2023.

La lutte contre la corruption en Tanzanie est menée par plusieurs organismes clés, notamment le Bureau de prévention et de lutte contre la corruption (PCCB) et la Cour des comptes de Tanzanie (NAOT). Ces institutions jouent un rôle crucial dans les enquêtes et les poursuites judiciaires relatives aux pratiques de corruption, la promotion de la transparence et la garantie d’une utilisation appropriée des ressources publiques. Les initiatives récentes ont mis l’accent sur le renforcement des capacités de ces institutions et la sensibilisation ainsi que la participation du public aux efforts de lutte contre la corruption. Cet article présente le cadre de collaboration actuel et examine les leçons tirées de ce cadre afin d’aider d’autres organisations similaires à suivre cet exemple.

2. Aperçu des entités

La Cour des comptes de Tanzanie (NAOT) et le Bureau de prévention et de lutte contre la corruption (PCCB) comptent parmi les principales institutions de contrôle et de surveillance dans le cadre de la responsabilisation du pays. Alors que l’Institution supérieure de contrôle des finances publiques (ISC) efficace promeut et renforce la transparence, la responsabilité et la prévisibilité des performances du gouvernement, les autorités anti-corruption sont essentielles pour promouvoir la bonne gouvernance, protéger les droits de l’homme, favoriser le développement économique et préserver l’intégrité des institutions. Leur rôle est essentiel dans la lutte contre la corruption et la construction de sociétés plus transparentes, responsables et justes. 

2.1 Le Contrôleur et Auditeur général et la Cour des comptes de Tanzanie

Le Contrôleur et Auditeur général (CAG) est l’une des autorités constitutionnelles de la République-Unie de Tanzanie. Le CAG est établi en vertu de l’article 143(1) de la Constitution de la République-Unie de Tanzanie de 1977 (ci-après dénommé « la Constitution »). Le CAG est le chef de la Cour des comptes de Tanzanie (NAOT), qui est reconnu en vertu des articles 20(1) et 20(2)(a) de la loi sur l’audit public, chapitre 418, comme l’Institution supérieure de contrôle des finances publique de la République-Unie de Tanzanie.  

En vertu de l’article 143(2) (c) de la Constitution, le CAG est chargé d’examiner, d’enquêter et d’auditer les comptes du gouvernement de la République unie, les comptes gérés par tous les fonctionnaires du gouvernement de la République unie, les comptes de tous les tribunaux de la République-Unie et les comptes gérés par le greffier de l’Assemblée nationale. En vertu de l’article 5(c) et de la partie IV de la loi sur l’audit public, le CAG est chargé d’effectuer divers types d’audits auprès des organismes publics, notamment des audits financiers et de conformité (article 26) et des audits de performance (article 28). En outre, le CAG est également chargé d’effectuer des audits de conformité, y compris des audits des marchés publics.

Parmi les audits effectués par la NAOT figurent des audits spéciaux et judiciaires, qui examinent généralement les soupçons de fraude, de mauvaise gestion et d’autres pratiques de corruption. Le CAG effectue ces audits à sa discrétion ou à la demande d’organisations juridiques ou de personnes, y compris le PCCB. À l’issue de ces audits, le CAG communique généralement ses rapports au PCCB, même lorsque ceux-ci sont demandés par d’autres organismes ou autorités. Le PCCB utilise les rapports d’audit pour ses enquêtes et, lorsque cela est justifié, il fait appel aux auditeurs de la NAOT pour clarifier certaines questions au cours des enquêtes et pour témoigner devant les tribunaux en tant que témoins de la République lorsque les rapports sont présentés.

2.2 Le Bureau de prévention et de lutte contre la corruption (PCCB)

Le PCCB est un organisme chargé de l’application de la loi qui est investi de pouvoirs pour prévenir, enquêter, éduquer et poursuivre toutes les infractions de corruption en République-Unie de Tanzanie. Ces pouvoirs sont exercés dans les secteurs public et privé. L’article 7 de la loi sur la prévention et la lutte contre la corruption, chapitre 329 (loi sur le PCCB) confère au PCCB les pouvoirs suivants : examiner et donner des avis sur les pratiques et procédures des organisations publiques, parapubliques et privées ; faciliter la détection de la corruption ou prévenir la corruption et assurer la révision des méthodes de travail ou des procédures qui semblent contribuer à l’efficacité et à la transparence de l’institution concernée ; coopérer et collaborer avec les institutions, agences ou organisations internationales dans la lutte contre la corruption. 

Le PCCB utilise les rapports d’audit pour prévenir la corruption conformément à l’article 7(a) et (c) ou pour enquêter sous la direction du Directeur des poursuites publiques, et pour poursuivre les infractions prévues à l’article 7(e) de la loi PCCB et d’autres infractions impliquant la corruption. En outre, le PCCB joue un rôle crucial en vertu de l’article 45 de la loi PCCB, qui consiste à établir et à maintenir un système de collaboration, de consultation et de coopération avec les organismes chargés de l’application de la loi et les autres autorités nationales de la République-Unie chargés des enquêtes et des poursuites.

3. Cadres de collaboration

Le PCCB et la NAOT collaborent dans divers domaines depuis la création du PCCB. Cette collaboration a été inscrite dans un cadre juridique en 2008, lors de l’adoption de la loi sur l’audit public. En vertu de l’article 27 de cette loi, les personnes travaillant pour le compte du CAG sont tenues de lui faire rapport de tout soupçon de fraude ou d’infraction connexe. Le CAG est tenu d’étudier la question et de communiquer les incidents signalés par ses subordonnés aux organes d’enquête et d’adresser une notification au Directeur des poursuites publiques (DPP). 

Les organes d’enquête sont tenus d’enquêter sur la question dans un délai de 60 jours et de faire rapport au DPP afin qu’il détermine si l’affaire peut donner lieu à des poursuites pénales. Si ce n’est pas le cas, le DPP est tenu d’en informer le CAG et de recommander d’autres mesures de redressement. Le CAG peut appliquer les mesures recommandées pour poursuivre et mettre en œuvre les mesures de redressement alternatives recommandées par le DPP à l’encontre de l’entité auditée.

À la suite de cette promulgation, plusieurs mesures consultatives ont été prises afin de déterminer la meilleure façon dont les deux organisations peuvent collaborer. Parmi ces mesures figure la conclusion d’un Protocole d’accord entre la NAOT et le PCCB, le 18 décembre 2017. Le Protocole d’accord a été révisé et mis à jour le 17 décembre 2020 et se concentre désormais sur l’amélioration de la collaboration, en particulier dans l’exécution d’audits spéciaux, le partage d’informations et le renforcement des capacités de ses agents. Suite à cela, les chefs des institutions ont élaboré et approuvé un plan de mise en œuvre conjoint et ont nommé un groupe de travail composé d’agents de liaison.

4. Pratiques de collaboration existantes

La NAOT et le PCCB complètent mutuellement leur travail. La valeur sociétale de la NAOT en tant qu’ISC et sa contribution peuvent être facilement démontrées par le succès des enquêtes, des poursuites judiciaires engagées à la suite des conclusions des audits et du recouvrement des ressources publiques mal gérées par les autorités chargées de le faire, y compris le PCCB. Le PCCB, quant à lui, s’appuie sur les rapports d’audit de la NAOT comme indicateurs de pratiques de corruption et a besoin de preuves d’experts pour les cas de détournement de fonds et de pertes financières subies par des organisations spécifiques. 

La NAOT communique au PCCB les soupçons d’actes répréhensibles qu’elle découvre au cours de ses audits ou une fois ceux-ci terminés, en particulier les audits judiciaires et spéciaux. Le PCCB est tenue d’ouvrir une enquête dans un délai de 60 jours, soit environ deux mois. Une fois l’enquête terminée, ses conclusions sont communiquées au Directeur des poursuites publiques (DPP) afin que celui-ci détermine les mesures juridiques appropriées, y compris les poursuites à l’encontre des auteurs présumés d’actes répréhensibles. Les auditeurs de la NAOT comparaissent fréquemment en tant que témoins experts dans des affaires découlant des conclusions d’audits.

Les deux organisations font partie des organes nationaux, régionaux et internationaux de coordination et de coopération impliqués dans la prévention et la lutte contre la corruption et le renforcement de la responsabilité. Les responsables de ces organisations organisent fréquemment des réunions d’équipes techniques et d’agents de liaison afin de discuter des questions clés qui affectent les relations de travail et de la meilleure façon de collaborer pour atteindre leurs objectifs stratégiques.

Les deux organisations invitent généralement des experts des organismes susmentionnés à participer à des activités de renforcement des capacités destinées à leurs agents, en particulier dans les domaines relevant de leur mandat et de leur expertise technique. La NAOT partage les informations relatives aux audits effectués (à l’exception de ceux demandés par le PCCB) si ceux-ci révèlent des pratiques de corruption susceptibles de faire l’objet d’enquêtes approfondies.  

Les deux organisations s’efforcent d’élaborer des procédures opérationnelles standard (POS) communes afin de documenter les pratiques de collaboration existantes dans un souci de cohérence, de prévisibilité et de durabilité. Les procédures opérationnelles standard fourniront des orientations sur la manière dont les agents sur le terrain peuvent réellement travailler ensemble pour permettre aux organisations d’atteindre l’objectif souhaité, tout en tenant compte des cadres réglementaires qui régissent leurs activités. Les procédures opérationnelles standard mettront particulièrement l’accent sur les domaines de l’exécution des mandats d’audit et d’enquête, du partage d’informations et du renforcement des capacités, et compléteront le cadre existant.

5. Principales leçons tirées pour une collaboration efficace

Bien qu’il existe encore plusieurs domaines à améliorer dans le cadre de collaboration existant entre l’ISC de Tanzanie et l’Agence de lutte contre la corruption, les progrès réalisés fournissent quelques leçons pour une collaboration idéale entre des institutions similaires dans d’autres juridictions. Les principales leçons tirées sont les suivantes :

5.1 Une collaboration fructueuse nécessite un cadre de collaboration solide et bien organisé

Comme indiqué ci-dessus, la collaboration entre la NAOT et le PCCB est considérablement renforcée par un cadre juridique et institutionnel solide. La loi sur l’audit public de 2008 fournit une base juridique solide à ce partenariat, qui est encore renforcé par le Protocole d’accord signé en 2017 et révu en 2020. Un cadre bien défini comme celui qui existe en Tanzanie garantit que les deux organisations ont une compréhension claire de leurs rôles, leurs responsabilités et des processus de collaboration, ce qui facilite une approche systématique et structurée de leurs efforts conjoints.

5.2 Soutien des dirigeants et accent mis sur la collaboration

Le soutien sans faille des plus hautes instances dirigeantes, notamment de la Présidente de la République-Unie de Tanzanie, Son Excellence Samia Suluhu Hassan, a été un facteur important qui a contribué à approfondir la collaboration existante entre la NAOT et le PCCB. L’accent mis par la Présidente sur l’importance de la collaboration entre ces institutions donne le ton au plus haut niveau, encourageant la coopération et la résolution des problèmes à tous les niveaux. Ce mandat dicté par les dirigeants a permis aux directeurs généraux des deux organisations de donner la priorité à la collaboration, en veillant à ce que leurs agents respectifs s’alignent sur l’objectif global de lutte contre la corruption et de renforcement de la responsabilité. Cela envoie généralement un message clair : pour que l’ISC et l’organisme de lutte contre la corruption travaillent ensemble et atteignent leurs objectifs communs, il faut non seulement une volonté politique, mais aussi un soutien réel de la part des plus hauts dirigeants, qui se répercute ensuite sur les fonctionnaires subalternes.

5.3 Existence de séances régulières de rétroaction et de travail

Les agents du PCCB et de la NAOT organisent régulièrement des séances de rétroaction et de travail, qui ont contribué à maintenir un partenariat productif entre les deux organisations. Ces séances offrent aux deux entités une plateforme pour partager des informations, discuter des questions en cours et élaborer des stratégies pour des approches plus efficaces. Le processus itératif de retour d’information permet d’identifier et de résoudre les problèmes, garantissant ainsi que la collaboration reste dynamique et réactive aux besoins émergents. Bien que ces réunions et sessions puissent nécessiter des ressources financières, leur existence joue un rôle important dans le renforcement de la collaboration technique sur le terrain.

5.4 Présence d’agents de liaison dédiés

La nomination d’agents de liaison dédiés s’est avérée être un élément essentiel du succès de la collaboration entre la NAOT et le PCCB. Ces agents jouent un rôle essentiel dans le partage de l’information, en veillant à ce que la communication entre les deux organisations se déroule sans heurts. Leur rôle dans l’accélération de la résolution des problèmes et la facilitation de la coordination au niveau opérationnel a été essentiel pour obtenir des résultats rapides et efficaces. La nomination de ces agents doit être effectuée avec le plus grand soin afin de s’assurer qu’ils ont une expérience suffisante, une compréhension approfondie des processus des deux organisations et le respect de leurs pairs. 

5.5 Mise à disposition de ressources financières pour le renforcement conjoint des capacités

L’allocation de ressources financières, en particulier par le biais d’initiatives telles que le programme « Building Sustainable Anti-Corruption Tanzania », (BSAAT), (« Créer une lutte anti-corruption durable en Tanzanie »), a été fondamentale pour soutenir les efforts conjoints de la NAOT et du PCCB. Ces ressources ont permis aux deux organisations d’investir dans le renforcement des capacités et dans des réunions régulières, qui sont essentielles pour améliorer les compétences et les connaissances de leurs agents. Cela montre clairement qu’une collaboration efficace et efficiente nécessite des ressources financières pour permettre aux agents de se rencontrer fréquemment, de partager leurs connaissances et de mener d’autres opérations conjointes. Ce soutien financier garantit non seulement la pérennité de la collaboration, mais aussi son amélioration continue, les deux organisations bénéficiant ainsi d’opportunités d’apprentissage et de développement communes.

6. Conclusion

En résumé, la collaboration entre la NAOT et le PCCB témoigne de l’importance d’un cadre bien organisé, d’un leadership fort, d’une communication régulière, d’un personnel dévoué et d’un soutien financier suffisant. Ces éléments, combinés, constituent une base solide pour un partenariat fructueux qui contribue de manière significative à la lutte contre la corruption et à la promotion de la responsabilité en Tanzanie.


À propos de l’auteur

Frank Sina (PhD) a obtenu son doctorat à l’Université de Maastricht, un LL.M à l’Université Ohio Northern aux États-Unis d’Amérique et un LL.M et un LL.B à l’Université de Dar es Salaam. Il est juriste principal et responsable principal de la « National Audit Academy Tanzania » (« Académie d’audit national de Tanzanie »). Vous pouvez le contacter à titre privé à l’adresse franksina2002@gmail.com .

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