Action collective et stratégies à long terme : La lutte contre la corruption dans un monde post-pandémique
par Jorge Bermúdez Soto, contrôleur général de la République du Chili et secrétaire général de l’Organisation des institutions supérieures de contrôle des finances publiques d’Amérique latine et des Caraïbes
La pandémie de grippe aviaire COVID-19 a été un test décisif pour les institutions supérieures de contrôle (ISC). Partout dans le monde, les gouvernements ont réalisé des investissements considérables pour assurer une couverture sanitaire et sociale. Les organisations internationales ont rapidement mobilisé des fonds importants pour venir en aide aux populations les plus démunies.
La crise a engendré un sentiment d’urgence qui a favorisé les comportements corrompus. Les ISC doivent donc démontrer leur valeur en produisant des informations indépendantes, en renforçant la confiance du public et en intensifiant les efforts de lutte contre la corruption.
Pour le Bureau du contrôleur général de la République du Chili, l’ISC du pays, cette crise s’est accompagnée d’un contexte national particulier. Les protestations citoyennes des derniers mois de 2019 ont donné lieu à un processus constituant sans précédent, un environnement social et politique qui a permis à l’ISC Chili de réfléchir à son rôle et à la manière dont elle répond aux demandes des citoyens pour améliorer la démocratie.
Les résultats de cet exercice ont ensuite été publiés dans le livre ” Démanteler la corruption : Idées pour renforcer la probité au Chili”, qui compile les principales tendances théoriques et institutionnelles et comprend une analyse des perceptions et des attitudes des citoyens à l’égard du phénomène de la corruption. L’étude indique que 85 % des personnes consultées pensent que ” le bureau du contrôleur est l’institution responsable de la lutte contre la corruption “. Si cette déclaration reconnaît le travail de contrôle de l’ISC, elle pose également des défis importants : travailler résolument pour répondre aux attentes d’une population de plus en plus exigeante et continuer à rechercher des méthodes pour mieux détecter et prévenir la corruption.
Comment répondre aux demandes des citoyens pour endiguer un phénomène aussi dynamique et répandu que la corruption ? Comment contrôler des flux financiers importants avec des budgets institutionnels de plus en plus serrés ? Pour faire face au nouveau contexte mondial, les ISC devront adopter des positions plus avant-gardistes et innovantes.
Il est essentiel de passer des mécanismes classiques de lutte contre la corruption, basés sur des outils isolés et des solutions réactives, à des initiatives globales et préventives fondées sur une vision multi-systémique de la corruption, et de reconnaître que les politiques d’intégrité ne peuvent pas provenir exclusivement de la sphère publique est un bon point de départ.
L’établissement de liens entre les institutions publiques et les différentes parties prenantes, comme le souligne l’objectif de développement durable n° 17, est un élément indispensable à la conception de politiques efficaces et efficientes visant à renforcer l’intégrité. Un travail coordonné entre les ISC et les universités, les citoyens, les organisations de la société civile et le secteur privé peut apporter des réponses nouvelles et meilleures pour lutter contre la corruption.
Suivant ce paradigme, le bureau du contrôleur général dirige, encourage et soutient la participation continue à l’Alliance anti-corruption-Chili de la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC), une initiative sans précédent réunissant plus de 30 institutions des secteurs public, privé et de la société civile engagées dans la promotion d’initiatives anti-corruption.
Cette action collective a été reconnue au niveau international pour sa contribution au renforcement de l’intégrité au-delà du secteur public.
Outre l’intensification de la collaboration, les changements mondiaux résultant de la pandémie façonnent un nouveau scénario qui exige des ISC une combinaison d’adaptabilité et d’innovation. En ce sens, les ISC ne peuvent pas être paralysées par le dynamisme de la société. Au contraire, il est essentiel pour elles d’adopter des approches à long terme qui définissent de nouvelles façons de relever les nouveaux défis.
En élaborant sa stratégie d’intégrité à long terme, l’ISC du Chili a pris en compte trois éléments essentiels : la complexité, la dualité et l’incertitude.
La corruption se transforme constamment – sous des formes plus sophistiquées et plus complexes – et transcende la sphère gouvernementale dans laquelle les ISC opèrent traditionnellement. Cela souligne la nécessité d’intégrer des mesures d’intégrité d’une manière double (dans les domaines administratif et politique), ce qui peut contribuer à élargir et à faire progresser la prévention des atteintes à l’intégrité. Il est tout aussi important de veiller à ce que les efforts de lutte contre la corruption soient clairs et bien définis tout en restant flexibles, en particulier compte tenu des incertitudes entourant les environnements sociaux, politiques et économiques.
La corruption n’est pas un problème nouveau. Cependant, elle a pris de nouvelles formes. Les outils actuellement disponibles pour faire face à ces nouvelles manifestations, ainsi que les scénarios complexes et incertains créés par la pandémie de COVID-19, définissent un contexte qui exige des réponses rapides et efficaces de la part des ISC.
Les ISC devront abandonner les solutions partielles qui s’attaquent à la corruption exclusivement par le biais de règlements et de sanctions et se tourner vers des stratégies anticorruption à long terme qui, par le biais d’initiatives de collaboration, unissent les secteurs public et privé, le monde universitaire et la société civile dans la recherche de mesures plus diversifiées et plus utiles.
En tant qu’agences indépendantes et objectives, les ISC sont bien placées pour favoriser un engagement collectif à lutter contre la corruption, à renforcer la démocratie et à ajouter de la valeur et des avantages à la vie des citoyens.