Renforcer la gouvernance des fonds publics grâce à des audits financiers : leçons tirées de la pratique de l’Institution supérieure de contrôle des finances publiques d’Albanie

Cour des comptes suprême d'Albanie. Source : Adobe Stock Images, Tupungato

Auteurs : Miranda Misini, auditrice, et Krisela Ngjela, auditrice, Institution supérieure de contrôle des finances publiques d’Albanie

1. Introduction

Les finances publiques sont le moteur d’un pays : elles financent les programmes sociaux, construisent les infrastructures et fournissent les services essentiels dont la population dépend au quotidien. Il est essentiel de garantir l’efficacité et la transparence de l’administration publique pour gagner la confiance des citoyens. Il ne s’agit pas seulement de bonne gouvernance, mais aussi de montrer aux citoyens que leurs institutions travaillent réellement pour eux. Les audits financiers sont le principal instrument utilisé par l’Institution supérieure de contrôle des finances publiques (ALSAI) d’Albanie pour garantir l’efficacité, la responsabilité et la transparence dans la gestion des fonds publics.

Cet article examine comment l’ALSAI a utilisé les audits financiers pour renforcer la gouvernance des fonds publics en Albanie, en s’appuyant sur des données de 2022 à 2024. Il analyse les types d’irrégularités financières identifiées, la portée des recommandations formulées et l’impact de ces audits sur la performance et la responsabilité des institutions publiques.

2. Le rôle des audits financiers dans la gouvernance des fonds publics

Les audits financiers ne sont pas une simple formalité, ils constituent la pierre angulaire d’une gouvernance efficace des fonds publics. Dans le contexte albanais, l’Institution supérieure de contrôle des finances publiques (ALSAI) utilise les audits financiers comme un outil pour garantir que les fonds publics sont gérés de manière responsable, transparente et efficace. Ces audits sont bien plus qu’un exercice de routine : il s’agit d’un processus systématique qui consiste à auditer la manière dont les deniers publics sont dépensés, à identifier les lacunes et à recommander des améliorations.

Garantir la responsabilité. Les audits financiers obligent directement les institutions publiques à rendre compte de leurs pratiques financières. En examinant les documents financiers, en évaluant la conformité avec la législation et en vérifiant l’exactitude des états financiers, l’Institution supérieure de contrôle des finances publiques albanaise identifie à la fois les bonnes pratiques et les lacunes importantes. Les audits financiers réalisés par l’ALSAI ont une double fonction : renforcer la responsabilité et révéler les déficiences systémiques. Ces audits identifient à la fois les irrégularités critiques et les pratiques conformes, telles que les charges municipales non autorisées, tout en mettant en évidence des problèmes structurels généralisés, notamment la classification erronée des charges, l’obsolescence des registres des immobilisations, le déséquilibre entre la trésorerie et les registres comptables, la reconnaissance incohérente des passifs, la fragmentation des rapports financiers entre les unités organisationnelles et l’insuffisance des mécanismes d’audit interne. Ces constatations récurrentes ont conduit à des mesures correctives et soulignent la nécessité urgente de renforcer la documentation, les contrôles internes, l’intégration des systèmes et les capacités d’audit afin de garantir une gestion transparente, précise et efficace des fonds publics.

Promouvoir la transparence. La transparence est un principe fondamental de la bonne gouvernance, et les audits de l’ALSAI y contribuent de manière significative. Les rapports d’audit sont publiés sur le site web officiel de l’ALSAI, ce qui les rend accessibles au public et aux parties prenantes. En 2024, plus de 106 rapports d’audit ont été publiés en ligne, et plus de 50 000 visiteurs ont consulté ces documents. Les médias se sont également largement intéressés à ces rapports, avec 382 articles dans la presse écrite et 1 448 reportages dans les médias audiovisuels. Cette approche proactive de la communication permet aux citoyens et aux parties prenantes d’être bien voulu informés de la gestion des fonds publics.

Améliorer l’efficacité. Au-delà de la responsabilité et de la transparence, les audits de l’ALSAI favorisent l’efficacité en identifiant les domaines à améliorer dans la gestion des finances publiques. Les recommandations d’audit ne sont pas de simples critiques, mais des propositions constructives visant à améliorer les processus, à réduire le gaspillage et à optimiser l’utilisation des ressources. En 2024, l’ALSAI a émis 4 378 recommandations, dont beaucoup visaient à optimiser la gestion budgétaire et à renforcer les contrôles internes.

3. Aperçu des audits : bilan triennal

Au cours de la période 2022-2024, l’ALSAI a audité au total 151 audits financiers dans diverses institutions publiques, notamment des ministères, des municipalités et des agences d’État. Ces audits ont révélé toute une série d’irrégularités et de lacunes financières, qui sont résumées ci-dessous :

  • 2022 : 177 audits, dont 35 audits financiers, ont permis de mettre en évidence des charges non autorisées et une mauvaise gestion budgétaire.
  • 2023 : 160 audits, dont 71 audits financiers, qui ont mis en évidence des revenus sous-déclarés et des contrôles internes déficients.
  • 2024 : 159 audits, dont 45 audits financiers, mettant en évidence une mauvaise gestion et le non-respect des réglementations financières.

Irrégularités financières constatées

Les audits financiers réalisés par l’ALSAI ont révélé toute une série d’irrégularités qui ont compromis l’efficacité de la gestion des fonds publics :

  1. Charges non autorisées : l’ALSAI a découvert des millions d’euros de charges non autorisées, notamment des paiements effectués sans documentation appropriée, des coûts d’approvisionnement excessifs et une mauvaise allocation des fonds.
  2. Produits non déclarés : plusieurs institutions publiques n’ont pas déclaré correctement leurs produits, ce qui a entraîné des pertes importantes pour le budget de l’État.
  3. Utilisation inefficace des fonds publics : la faiblesse des contrôles internes et la mauvaise planification financière ont entraîné des charges inefficaces, notamment des charges redondantes et des engagements financiers imprévus.
  4. Classification erronée des charges et des produits : les institutions publiques ont comptabilisé des investissements en capital comme des charges opérationnelles et ont retardé la comptabilisation des recettes, faussant ainsi les états financiers et nuisant à la transparence.
  5. Actifs non enregistrés et non vérifiés : une part importante des immobilisations n’était pas enregistrée dans les livres comptables, ne disposait pas de documents officiels attestant de leur propriété et était exclue des plans d’amortissement, ce qui augmentait le risque de détournement d’actifs et d’inexactitude des informations financières.
  6. Écarts entre les registres de trésorerie et les registres comptables : les registres comptables ne correspondaient souvent pas aux rapports du Trésor, ce qui a entravé la vérification des états financiers et compliqué l’audit.
  7. Consolidation insuffisante des rapports financiers : le fait que les institutions n’aient pas regroupé les données des unités de niveau inférieur a donné lieu à des rapports financiers fragmentés et incomplets.
  8. Consolidation insuffisante des rapports financiers : les institutions n’ont pas consolidé les données des unités subordonnées, ce qui a donné lieu à des rapports financiers incomplets et fragmentés.
  9.  Inefficacité des fonctions d’audit interne : l’efficacité des services d’audit interne dans la prévention de la mauvaise gestion financière était réduite, car ils étaient généralement inactifs ou ne produisaient que des rapports formels, non fondés sur les risques.

Transformer les conclusions en actions : les recommandations de l’ALSAI

L’un des aspects les plus importants du processus d’audit de l’ALSAI est la formulation de recommandations visant à remédier aux lacunes identifiées. Ces recommandations ne sont pas de simples mesures procédurales, mais des mesures stratégiques visant à renforcer la gouvernance des fonds publics :

  • 2022 : L’ALSAI a émis 5 420 recommandations axées sur l’amélioration de la planification budgétaire, le renforcement des contrôles internes et l’amélioration de la transparence des rapports financiers.
  • 2023 : L’ALSAI a émis 5 759 recommandations, notamment des mesures correctives ciblées pour les institutions dont les contrôles internes sont faibles et la gestion financière insuffisante.
  • 2024 : L’ALSAI a émis 4 378 recommandations, mettant l’accent sur le respect des réglementations financières, l’amélioration des structures de gouvernance et le renforcement des mécanismes de responsabilité.

L’ALSAI ne se contente pas d’émettre des recommandations. Elle a mis en place un système de surveillance solide pour suivre la mise en œuvre de ces recommandations. Ce système comprend :

  • Audits de suivi : réalisation d’audits ultérieurs afin de vérifier si les institutions ont mis en œuvre les mesures correctives.
  • Publication de rapports : publication de l’état d’avancement de la mise en œuvre des recommandations sur le site web de l’ALSAI, afin de garantir la transparence.

4. Conclusion

Les audits financiers de l’ALSAI constituent un mécanisme essentiel pour promouvoir la bonne gouvernance en Albanie. En identifiant les irrégularités financières, en formulant des recommandations correctives et en favorisant la transparence, l’ALSAI renforce la responsabilité et l’intégrité dans la gestion des fonds publics. Toutefois, des efforts continus sont nécessaires pour renforcer les capacités d’audit, garantir la mise en œuvre des recommandations et favoriser une culture de transparence dans l’administration publique. Afin d’améliorer les capacités d’audit, de garantir le suivi des recommandations et de promouvoir une culture éthique et transparente dans l’administration publique, des efforts continus sont nécessaires. L’impact de l’ALSAI peut être encore renforcé par une participation accrue du public, la numérisation des procédures d’audit et la coopération interinstitutionnelle. En fin de compte, le maintien des finances publiques, le renforcement de la responsabilité démocratique et la promotion d’une confiance durable entre la population et le gouvernement dépendent tous d’un audit indépendant fort.

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